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Coopérative Story : comment le cinéma Nova a réussi son pari fou

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Déjà réputé pour sa singularité artistique, l’indéboulonnable cinéma Nova s’est à nouveau distingué en opérant un tour de force dans un tout autre domaine : récolter 833.700 euros en moins de 5 mois pour arracher le Nova à la pression immobilière en devenant collectivement propriétaire de son propre lieu. Retour sur le sauvetage hors norme d’un lieu farouchement atypique.

 

 

N’importe quel amateur de cinéma indépendant pourrait la reconnaître entre milles :  la truculente façade rue d’Arenberg, un ensemble foutraque de figurines et de typos en relief, en-dessous duquel trône une entrée sombre qui mène vers cette salle de projection emblématique aux murs défraichis. Il faut dire que dans ce quartier où s’enchaînent les façades chics et les magasins touristiques, la devanture détonne. « Quand on a ouvert en 1997, cette rue était quasi déserte, les magasins étaient vides. C’était l’époque où il y avait plein de terrains vagues dans le Pentagone. De ce côté-ci de Bruxelles, à part des lieux touristiques comme la Mort Subite et la Cathédrale il n’y avait pas d’animation. » se remémore Gwenaël Breës, l’un des fondateurs du Nova. C’était il y a 27 ans. Et déjà, le Nova affichait sa singularité : un cinéma d’urgence, expérimental, censé durer deux ans, porté par une équipe de cinéphiles bénévoles, qui occupent les lieux via un bail précaire et, à l’époque, gratuit. « Nous n’étions pas censés durer. Nous sommes devenus bénévoles, collectifs, par la force des choses. Et puis, ça s’est naturellement inscrit dans notre identité. ».

27 ans après, ce lieu culturel polymorphe, collectif et démocratique est toujours bel et bien là. Du jeudi au dimanche, au rythme d’une à trois projections par soir, une centaine de bénévoles font vivre le lieu « C’est quasi un petit miracle qu’on y arrive dans ces conditions tous les jours. Mais ça fait près de 30 ans que ça dure » renchérit Gwenaël. Un petit miracle d’organisation pour ce collectif autogéré, mais pas uniquement : face à la flambée immobilière, le cinéma a enchaîné les coups de chauds et les menaces de devoir quitter les lieux. Cinq propriétaires différents en 27 ans, bail d’occupation précaire gratuit, puis onéreux (10.000 euros / an), emphytéose et sous-location : les conditions d’occupation du n°3 de la rue d’Arenberg sont dignes d’un scénario (d’un film expérimental sur l’immobilier, certes, mais pourquoi pas après tout).

 

 

« L’exception culturelle du Nova (…) existe justement car il n’y a pas de recherche de profit »

Gwenaël Breës, l’un des fondateurs du Nova

 

En 2017, une énième revente du bâtiment débouche sur l’urgence de devenir propriétaire des lieux, pour s’y maintenir et garantir son indépendance, le collectif crée la Coopérative Supernova. Le projet d’achat n’aboutit pas, mais l’initiative a du flair : quelques années plus tard, alors que la date de fin du bail emphytéotique se rapproche, et avec elle, de nouveau, le risque de devoir quitter les lieux, le cinéma entame les négociations avec les Galeries Saint-Hubert, qui vient à son tour de racheter l’immeuble. Après deux années de va et vient, ils aboutissent à un accord sur un nouveau bail emphytéotique de 68 ans :  il faudra trouver 794.000 euros d’ici le 11 mai 2024. Condition sine qua none pour garantir la pérennité du projet et son objet social. « Au prix du marché, aujourd’hui un bail locatif classique pour l’occupation de ce lieu serait de plus de 60.000 euros par an. Impossible pour nous, à moins de changer totalement l’objet social du cinéma, en projetant par exemple des films commerciaux, en augmentant les tarifs etc. Et donc de supprimer l’exception culturelle du Nova qui existe justement car il n’y a pas de recherche de profit, ni même de rentabilité, ce qui nous permet de montrer des choses vraiment rares et inédites » détaille Gwenaël. La coquette somme englobe un loyer modéré fixé à 10.000 euros par an pendant 68 ans et divers frais annexes (actes notariaux, chaudière, frais de campagne…).

 

(La façade du Nova. @Nova)

 

Ne reste alors « plus qu’à » rassembler la somme. Les bénévoles font un rapide calcul : chaque année, environ 20.000 cinéphiles arpentent la salle obscure du cinéma. Si chacun met une quarantaine d’euros, la levée est bouclée. Mais pourquoi avoir opté pour un appel à coopérateurs plutôt qu’un appel à dons ? « Le montant nous semblait énorme. Tellement énorme d’ailleurs, qu’on a cherché à le limiter et à ne pas dépasser la barre des 800.000 » raconte Gwenaël. « Et puis le modèle coopératif résonnait pas mal avec la philosophie du Nova : ça créé une communauté de personnes qui ont une raison de souhaiter que ce lieu existe. Contrairement à des dons, un lien se maintient via la coopérative, et ça nous semblait important. »

La coopérative, agréée comme entreprise sociale et labellisée “Finance solidaire”, est alors vue principalement comme un véhicule financier. Selon Chadi Cheikh-Ali, conseiller pour les entreprises sociales auprès de SAW-B, et également coach chez COOPCITY, ce modèle a plusieurs vertus : « C’est un modèle qui couple deux entités : une qui sert à lever des fonds, et défendre les activités de sa deuxième entité : l’antenne gestionnaire usagère (l’ASBL). Quand on est sur de l’immobilier qui vient soutenir les activités d’une ASBL par exemple, c’est souvent adapté de créer ce type de montage. » explique-t-il.

Côté coopérateurs, la scission Nova cinéma VS Nova coopérative est très claire : aucune contrepartie n’existera. « Pas de passe-droit, pas d’anniversaires dans le bar, pas de ticket gratuit, pas de droit de regard sur la programmation du cinéma… Cela m’a surpris, mais cette transparence a été plutôt bien accueillie » énumère Gwenaël.

Les étapes clés

 

Le 26 octobre 2023, la campagne de financement intitulée « Fin de bail : Achetons le Nova » est officiellement lancée, les appels à soutien envahissent les réseaux sociaux, une gazette est imprimée, séances infos et programmations spéciales s’enchaînent au Nova. Jamais Bruxelles n’a bruissé Nova en si peu de temps. Il faut dire qu’au-delà de la notoriété du cinéma, leur aventure est quasi symbolique pour un bon nombre d’Entreprises Sociales et cristallise à elle seule une problématique commune au secteur : trouver le moyen de pérenniser un projet qui ne cherche pas à faire de profit, tout en garantissant sa mission sociale et son exception culturelle. Un enjeu d’autant plus prégnant dans la culture, qui, toujours plus asservie à une logique de rentabilité, lutte contre une uniformisation galopante. David contre Goliath.

 

Au 13 mars 2024, Supernova Coop compte environ 3.100 membres, dont 100 personnes morales

 

Rapidement, les soutiens affluent. D’ailleurs, ils forment le premier socle de la campagne, qui ne démarre pas les poches vides : les bénévoles ont sécurisé en amont 300.000 euros auprès de donateurs privés, qui avaient déjà été identifiés et contactés en 2017, lors de leur précédente frayeur immobilière. Un signal fort : « ça a rassuré tout le monde, des propriétaires aux futurs coopérateurs. Et à nous aussi, ça nous a donné confiance » ajoute le co-fondateur du Nova. Reste à rassembler les 494.000 euros restants. Le 13 novembre, ils annoncent avoir récolté 97.000 euros en 15 jours.

Un formidable réseau de soutien se met alors en place. Surprenant, même pour les bénévoles. « 97% des coopérateurs sont des personnes physiques, et côté personnes morales, nous avons eu des surprises type des maisons médicales… C’était super chouette d’observer la diversité des profils ». Quid des soutiens dont les valeurs sont aux antipodes du Nova ? « On a eu un seul cas, qui a été débattu. Et finalement, après prise de contact et renseignement sur leurs activités, notre CA l’a validé » détaille Gwenaël, avant de préciser tout de même que l’appareil juridique est ficelé de telle sorte à ce que même si Donald Trump devenait Novacoopérateur (nouvelle idée de scénario, tiens) ; celui-ci ne pourrait de toutes façons pas interférer sur l’objet social. « Mais c’est important pour nous que les coopérateurs adhèrent aux valeurs du Nova »

Durant 4 mois, la mobilisation ne faiblit pas, et les coopérateurs continuent d’affluer. Un élément inattendu émerge même en début de campagne : le nombre d’années négocié de l’emphytéose, soit 68 ans, qui semble créer une dimension affective supplémentaire : « La grande majorité des coopérateurs qui prennent des parts aujourd’hui ne seront plus de ce monde. Cela rajoute un attachement et une valeur d’engagement pour l’avenir ». Suite à de nombreuses demandes, Supernova ouvre d’ailleurs en cours de route la possibilité de prendre des parts pour des enfants mineurs (Au 13 mars, 233 mineurs détenaient une part, ndlr)

 

Le 13 mars, soit plus de 15 jours avant la fin annoncée de la campagne, Supernova annonce avoir atteint 833.700 euros. En moyenne, chaque coopératrice ou coopérateur a souscrit pour 160 Є de parts. 84 % d’entre eux habitent Bruxelles, 7% dans le reste de la Belgique et 9% à l’étranger.

 

Si Gwenaël concède qu’une campagne de 5 mois reste une aventure éreintante, le rythme lui-même était intéressant à analyser :  « On s’attendait à ce que le début de campagne soit plutôt frénétique en termes d’achat de parts, puis qu’elle s’essouffle et se relance dans la toute dernière ligne droite. Finalement, on a eu une baisse en fin d’année, et dès janvier, le rythme est devenu exceptionnel, au point qu’on n’a pas eu besoin de mobiliser tant que ça dans la dernière ligne droite. » Alors que Supernova espère boucler sa levée fin mars, la somme de 794.000 euros sera atteinte dès le 4 mars. Le Nova est sauvé. Enfin presque : en recevant les factures et devis actualisés, l’équipe se rend compte que certains coûts ont augmenté, et les frais réels sont désormais estimés à 833.700 euros. Une bagatelle : le 13 mars, Supernova annonce avoir atteint cette somme. Plus de 3100 coopérateurs sont désormais « co-propriétaires » des murs qui hébergent le cinéma.

 

(@Nova)

Que retenir alors ?

 

« Ce qu’ils ont bien réussi et soigné c’est leur communication et leur stratégie média. Alors qu’ils sont d’ordinaire plutôt absents des réseaux sociaux, tout le monde en a parlé. » s’enthousiasme Thibault Quirynen, porteur du cinéma coopératif de Cinécité et nouveau coopérateur de Supernova. Il faut dire qu’ils ont mis les moyens : estimés à 30.000 euros, les frais de communication de cette campagne ont finalement frôlé les 50.000 euros. Thibaut y décèle aussi un engouement tout particulier pour deux éléments ; le modèle coopératif d’une part : « les gens sont de plus en plus en attente de lieux dans lesquels ils peuvent se sentir partie prenante, comme BEES coop pour ne citer qu’eux ». Le tout dans un contexte réjouissant de renouveau de l’attractivité du secteur : « Sur Cinéville, la moyenne d’âge est aujourd’hui de 35 ans. Rien à voir avec la population d’il y a 4-5 ans. J’observe un engouement vers le cinéma indépendant qu’on n’a pas connu depuis très longtemps ». Aux confluents d’enjeux sociétaux, financiers et culturels, le cas Nova est « inspirant pour tout le monde » renchérit Thibaut. Quelle typologie de projet peut donc s’inspirer de ce genre de modèle ? Pour Chadi Cheikh-Ali, ce succès tient à trois facteurs clés : l’universalité du secteur culturel, qui permet des soutiens qui dépassent les frontières belges « je ne conseillerais pas forcément le même modèle à une ferme participative ultra localisée par exemple » ; la notoriété du Nova, son exception culturelle et son bagage historique et enfin les montants, « plutôt raisonnables quand on sait que c’est le prix d’une grosse maison à Bruxelles ». « Mais bon, ce n’était pas gagné d’avance » tempère l’expert.

 

« Le cas Nova est inspirant pour tout le monde »

Thibault Quirynen, porteur du cinéma coopératif de Cinécité

 

Et ensuite ?

 

Les activités et la liberté de programmation de l’ASBL Nova, qui versera donc un loyer à la coopérative Supernova, nouvelle propriétaire des murs, ne devraient pas bouger d’un poil. Et c’est tant mieux. Que faire alors des plus de 3100 coopérateurs et coopératrices qui ont rejoint Supernova ?  Prochaine étape : organiser une AG en mai-juin. « J’avoue qu’on n’avait pas vraiment anticipé ce nombre. Ça va être un sacré bazar à mettre en place » rigole Gwenaël.  « Mais on a toujours fonctionné comme ça, de manière organique : en faisant les choses. Et ça a plutôt pas mal tenu pendant 27 ans. Pas de raison que ça s’arrête » conclut-il.

 

 

Note : Jusqu’au 8 juin 2024, il est toujours possible d’acheter des parts du cinéma Nova, le financement supplémentaire sera utilisé pour couvrir les frais de rénovation de la toiture et une nouvelle isolation.

 

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