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Rôle du CA en Économie Sociale : décryptage et bonnes pratiques

La lecture de Noël(1)

CA fantôme, prête-nom, chambre d’entérinement, déconnecté du terrain, trop opérationnel… Si les responsabilités légales théoriques du Conseil d’Administration sont gravées dans le marbre juridique, sa traduction sur le terrain peut être sujet à plusieurs interprétations et atermoiements. Particulièrement en économie sociale, où les modèles en gouvernance participative risquent davantage de brouiller les lignes. Quels écueils sont fréquents en économie sociale et comment les anticiper ? Existe-t-il un modèle vertueux ? Caroline Ker, juriste de formation et accompagnatrice d’entreprise sociale chez Febecoop nous éclaire.

Quels sont les écueils fréquents concernant les CA en économie sociale ?

Je dirais qu’il y en a deux qui se dégagent : le CA qui passe plus de temps à gérer de l’opérationnel que de la stratégie, ou alors le CA  « redondant », c’est-à-dire qui n’a pas vraiment de valeur ajoutée, dans la mesure où tout se discute déjà en équipe, équipe que l’on retrouve en tout ou partie au CA.

Comment expliquer ces deux écueils ?

Pour moi, il y a deux types de causes : d’abord, cela est lié à une dynamique participative qui ne parvient pas toujours à intégrer utilement le CA dans leur gouvernance. Pour plusieurs raisons : la présence de nombreux travailleurs / travailleuses au CA, qui rend parfois difficile la prise de distance par rapport à l’opérationnel, mais aussi, et c’est souvent lié, une sorte de méconnaissance, voire même de méfiance sur ce qu’est un CA de société et ce que ça peut apporter.

Quelles sont les conséquences qui en découlent?

Dans un cas comme dans l’autre, et c’est ça qui est intéressant, la conséquence est un peu la même : on n’exploite pas complètement l’outil qu’est le CA en terme de stratégie. On prive l’organisation d’une corde supplémentaire à son arc. Lorsque le CA gère trop d’opérationnel, il n’a ni le temps, ni le recul nécessaire pour essayer de réévaluer sa stratégie, de se concentrer sur les éléments qui permettront de développer davantage le projet. Et dans l’autre cas, (CA redondant) : lorsque tout se décide au niveau de l’opérationnel, on constate la même perte de recul. Au final, ces écueils peuvent aboutir à limiter l’impact des entreprises sociales, en empêchant le déploiement d’un travail stratégique au service d’un développement de la mission de l’organisation.

« Quand le CA n’est pas vraiment efficient, on constate une méconnaissance des responsabilités dans l’organisation, mais aussi des responsabilités personnelles »

Au-delà de l’aspect stratégique, cela entraîne des conséquences individuelles. Pour rappel : l’un des rôles du CA c’est d’assurer la conformité de l’entreprise aux obligations légales. Quand le CA n’est pas vraiment efficient, on constate une méconnaissance des responsabilités dans l’organisation, mais aussi des responsabilités personnelles. Un cas très concret que peu d’administrateurs / administratrices connaissent ou maîtrisent, c’est la procédure de la « sonnette d’alarme » dont le CA a la responsabilité, avec en cas de non-respect, une responsabilité alourdie des administrateurs / administratrices. C’est une obligation récente (depuis 2020), qui, aujourd’hui encore n’est pas suffisamment maîtrisée, organisée…

Comment intégrer au mieux le CA en cas de gouvernance participative ?

Alors déjà, je tiens à dire que c’est possible de combiner gouvernance participative et CA efficient ! Une manière de réaliser cela c’est de voir le CA comme l’organe à qui l’équipe confie le rôle « stratégie ». Le CA peut ainsi être le lieu depuis lequel la réflexion stratégique est initiée et menée, en accord avec les principes de participation retenus dans l’entreprise.

Le CA reçoit en quelque sorte le mandat de nourrir la réflexion stratégique, d’organiser la production participative des décisions stratégiques dans l’entreprise, et ensuite d’en effectuer le suivi, l’évaluation… De par sa distance avec l’opérationnel, il est mieux placé pour objectiver les résultats et interpeller au besoin l’équipe, pour effectuer une veille et nourrir une réflexion continue sur les moyens de développer l’impact, sur les moyens de renforcer l’équilibre financier, etc. Ce travail est légalement du ressort du CA.

L’adaptation opérée ici est que les décisions stratégiques ainsi endossées par le CA auront été préalablement construites avec l’équipe. On n’est donc pas dans un modèle où le CA produit la stratégie d’en haut, et assure le contrôle de la mise en œuvre, mais dans un modèle où le CA nourrit, prend l’initiative et fait le suivi d’une stratégie décidée avec l’équipe.

Dans le détail, voici quelques points d’attentions : la gouvernance participative doit tenir compte du principe légal de responsabilité des administrateurs/ administratrices. En vertu de ce principe, iels pourraient par exemple être déclaré.e.s personnellement responsables s’iels ont laissé des décisions préjudiciables se prendre par l’équipe. Pour éviter cela, deux modèles existent :

  • La dynamique participative s’organise au niveau opérationnel uniquement.
  • Comme on vient de l’évoquer, on trouve une manière d’agencer les deux, en confiant à l’équipe le soin d’organiser la gouvernance participative, d’établir des mandats clairs pour que le CA puisse s’emparer de son rôle stratégique (veille du marché, besoins des bénéficiaires, impact social…) et, pourquoi pas, coconstruire la stratégie en intégrant les différentes parties prenantes : l’opérationnel, les porteurs de stratégie, les bénéficiaires… Puis, les équipes définissent les moyens pour mettre en œuvre la stratégie.

Quelles bonnes pratiques conseilles-tu pour assurer un bon fonctionnement CA / équipe ?

Il y a en beaucoup… En voici quelques unes, essentielles selon moi :

Sur les profils et leur intégration au CA

  • Établir un profil de fonction pour les mandats d’administrateur / administratrices, qui dépendra notamment des compétences déjà présentes, y compris dans l’équipe, et du stade auquel se trouve l’entreprise (démarrage, rythme de croisière, développement)
  •  Envisager le recrutement des administrateurs / administratrices sur base de leurs compétences et non uniquement de leur proximité avec les valeurs et la finalité sociale, lorsque le projet a atteint un certain stade de maturité.
  • Aborder sans tabou la question du défraiement ou de la rémunération des administrateurs / administratrices car c’est du travail et des responsabilités.
  • Former et initier les future.s administrateur / administratrices à leurs tâches pour qu’iels se sentent à l’aise avec le sujet et soient prêt.es à s’impliquer dès que leur mandat commence (prévoir par exemple une période d’observation préalable). Rédiger une charte de l’administrateur reprenant le tout, rappelant ses responsabilités, son rôle et la faire signer.

Sur la structuration et les liens CA/équipe :

  • Établir un planning annuel du CA, où l’on s’assure que toutes les tâches liées à cet organe reçoivent un temps de réunion approprié ;
  • Fixer des réunions aussi souvent que l’intérêt l’exige (et plus souvent si émergent des problèmes de trésorerie, ou développement récents, …)
  • Mettre en place des processus de remontée de l’information pour que le CA soit en mesure de faire son travail d’évaluation, et d’effectuer un suivi régulier de la stratégie et des finances.
  • Étudier les avantages et inconvénients de nommer un.e dirigeant.e  hors CA ou au contraire, un ou une administrat.eur.rice délégué.e qui fait partie du CA. Dans tous les cas, il peut être intéressant d’organiser des moments de CA en l’absence de la gestion journalière, pour travailler sur du stratégique et pouvoir librement discuter des réalisations de l’entreprise.
  • Définir, dans un ROI ou une job description les décisions relevant de la gestion journalière ;
  • Envoyer les convocations suffisamment à l’avance
  • Un MUST : rédiger un PV à chaque séance

Le CA doit s’envisager comme un engrenage d’un système.

Un dernier conseil ?

Le CA doit s’envisager comme un engrenage d’un système. La gouvernance idéale doit se penser à l’échelle de l’organisation entière. Ce qu’on doit retrouver au final dans l’organisation, ce sont les fonctions suivantes : stratégie et suivi stratégique, intelligence collective mais aussi contre-pouvoirs, renforcement mutuel et responsabilités. Cette approche par « fonctions », plutôt que par « organes », permet de configurer la gouvernance d’une organisation d’économie sociale de manière adaptée aux valeurs démocratiques de ces organisations. Au niveau des modalités, on est néanmoins dans du « fait-sur-mesure », qui amène souvent l’entreprise sociale à façonner son propre modèle de gouvernance.

 

POUR ALLER PLUS LOIN

Les ressources à consulter :

Manuel pour des administrateurs de coopérative, par Febecoop.

LA DÉMOCRATIE EN ENTREPRISE SOCIALE : QUELS RÔLES POUR LE CONSEIL D’ADMINISTRATION ? Par SAW-B

Interview Mathilde Leboeuf,  coordinatrice de la coopérative Cabas : « La gouvernance participative demande des ajustements réguliers »

 

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