« La gouvernance participative demande des ajustements réguliers »
Mathilde Leboeuf est coordinatrice de la coopérative Cabas, créée il y a trois ans, qui mutualise les canaux de commercialisation et de logistique pour les producteurs et productrices agricoles. Il y a quelques années, la coopérative a été accompagnée par le programme INNOVATE pour établir une gouvernance participative. On fait le point.
Comment et quand la gouvernance participative s’est inscrite au sein du projet Cabas ?
Cabas n’était pas encore créé que la gouvernance participative était au cœur du projet. L’idée est partie d’un constat : il fallait proposer un modèle alternatif de distribution des produits agricoles, trop souvent détenu par la grande distribution et les grossistes, au détriment des producteurs / productrices. Faire en sorte que cet outil de distribution soit au service des concerné.e.s : les producteurs/producteurs mais aussi les citoyens/citoyennes. Concrètement, ça se traduit par une coopérative de 120 membres et ça augmente tous les jours.
Concrètement, quelles ont été les grandes étapes de mise en place ?
Alors déjà : nous sommes toujours en chemin. D’ailleurs, en matière de gouvernance participative, je crois que c’est quand on a la sensation d’avoir fini le chemin qu’on se perd (rires). Concrètement, les coopérateurs-producteurs rentrent dans la coopérative après un an de collaboration, le temps de voir si celle-ci a du sens pour eux / elles et pour nous. Cela a eu des conséquences sur la composition de l’AG et du CA au départ, pas suffisamment diversifiés. Un an après le démarrage, les producteurs / productrices ont commencé à rentrer dans l’AG et on a élargi le CA. Aujourd’hui notre CA est composé de 6 membres : deux garants-amis ( Saw-b et le Réseau Paysan), deux producteurs membres de la coopérative, une travailleuse et une citoyenne. Tous sont coopérateurs / coopératrices. C’était notre volonté : que toutes les parties-prenantes au projet soient représentées dans chacune de ces instances dirigeantes pour équilibrer les discussions et favoriser la multitude des points de vue. Nous avons d’ailleurs inscrit ces mécanismes dans nos statuts pour garantir la finalité du projet quoi qu’il arrive.
« C’est quand on cesse de se poser des questions sur la gouvernance qu’elle n’est plus participative »
Comment organisez-vous vos prises de décisions ?
Au printemps dernier, nous avons ouvert notre magasin. Pour ce cas précis, voici les mécanismes que nous avions mis en place : on a fait une première consultation avec tous les producteurs / productrices, puis une nouvelle avec d’autre parties prenantes pour bonifier la décision. L’idée était de s’assurer que toutes les parties prenantes étaient bel et bien représentées avant de voter. Enfin, la décision a été finalisée en CA et votée en AG. En CA, les décisions sont prises par consentement. La décision par vote est le dernier recours si nous n’arrivons pas à nous mettre d’accord, mais cela n’est jamais arrivé. Dans ce cas, c’est 1 personne, 1 voix quel que soit le nombre de parts. Dans l’AG, les décisions sont votées (1 personne = 1 voix quel que soit le nombre de parts). On a aussi mis en place une majorité de blocage pour les décisions qui concernent les producteurs : concrètement si pendant l’AG, une majorité de producteurs/productrices votent contre une décision, et même si le reste de l’AG est pour, la décision finale est pour eux / elles.
En dehors des AG, nous organisons également des rencontres avec les producteur.ices pour faire le point et co-construire les chantiers en cours. Récemment, nous avons aussi décidé d’organiser des concertations par filière, par exemple pour les maraîchers. Nous décidons collectivement de la répartition des besoins pour l’année prochaine, et cela se fait sur base de discussion. Cela leur permet de préparer leurs plans de culture. On a prévu une première réunion avec les maraîchers avec qui on travaille déjà, puis un deuxième round incluant des maraîchers avec qui on aimerait travailler l’année prochaine. L’idée est de tester, de consulter, de vérifier que les mécanismes sont toujours sains, de reconsulter, d’en prendre soin. La gouvernance participative, ça demande des ajustements réguliers. Personnellement, je pense que c’est d’ailleurs quand on cesse de se poser des questions sur la gouvernance qu’elle n’est plus participative.
Comment accompagner au mieux les nouveaux arrivants / nouvelles arrivantes à s’habituer à de type de gouvernance ?
Tout est inscrit dans nos statuts, mais peu les consultent. Alors, on explique à l’oral. Pour les producteurs / productrices, les enjeux sont clairs. On est en train de réfléchir à une manière d’embarquer également les citoyens et citoyennes et de les impliquer davantage. Pour le moment, ils et elles peuvent venir faire leurs courses dans notre magasin sans forcément être membre de la coopérative, mais l’idée est de trouver une manière de les sensibiliser, autrement que via une remise à la caisse s’ils/elles sont membres (ce qu’on fait déjà). C’est un chantier que nous allons construire au fur et à mesure.
« Le fait de décider ensemble rend l’exécution bien plus facile car tout le monde est à bord »
Quel conseil donnerais-tu à une entreprise qui veut instaurer une gouvernance participative ?
Pas facile à répondre car je fais ça de manière assez instinctive, puisque je suis convaincue de son aspect vertueux. Et d’ailleurs, ça serait mon premier conseil : le sujet doit être porté par des personnes qui y croient ! C’est assez chronophage (surtout au début), donc on peut se décourager assez vite, c’est un travail de longue haleine. Gardez en tête que même si ça prend du temps, le fait de décider ensemble rend l’exécution bien plus facile car tout le monde est à bord. Ensuite, mon autre conseil, plus pragmatique, serait de bien clarifier ce qu’on décide ensemble : ce qui est décidé par le CA, par l’équipe etc. Sinon, on ne s’en sort pas. Chez Cabas, on a opté pour le modèle « décision stratégique » au CA et « décision opérationnelle » en équipe. Enfin, c’est intéressant de se faire accompagner dans ce travail de gouvernance, à condition de réfléchir à la théorie en amont et pourquoi pas d’avoir expérimenté déjà un peu avant de démarrer l’accompagnement pour voir déjà ce qui bloque, ce qui mérite d’être développé davantage etc. Et enfin mon dernier conseil : pour mobiliser le plus d’acteurs / actrices possibles dans les processus de décision, ciblez ceux et celles qui sont directement concerné.es par l’impact des activités. On trouve plus facilement des ressources ou du temps lorsqu’une décision a un impact individuel.